Les Plumes du temps

Atelier d’écriture du Cercle universitaire d’Enghien-les-Bains
Animé par Claude Lévy

Atelier de création graphique
Animé par Geneviève Cadith

Remerciements à Françoise Pannetier, Directrice de la Médiathèque
George-Sand d’Enghien-les-Bains
à Katia Guérin, Directrice du Service Communication de la Ville
d’Enghien-les Bains
à Romain Moretto, graphiste
Octobre 2018

MAIS IL EST OÙ LE TEMPS ?


Parole d’enfant qui voit sans cesse les adultes courir
après le temps !
Nous ne le voyons pas mais il est partout. Il se cache
dans les arbres,
Dans les fleurs, sur notre visage, sur notre peau, mais
pas dans nos coeurs.
Dans notre coeur le temps ne s’inscrit pas.
Il a besoin des mots pour exister.
Les mots, mes compagnes d’atelier savent bien les
apprivoiser !
Elles savent raconter les histoires du temps.
Vous allez les entendre, et vous allez même les voir !
Mais oui, elles ont créé des images du temps.


VOYAGE


Terre, noble terre de nos tristes amours
Où est ta lumière dans le ciel étoilé.
Voyage infini mais sans retour
Peut-on être et croire en l’être aimé.
J’ai rêvé la nuit d’un air pur et vivifiant.
Ne plus respirer la fermentation des joncs
Ne plus sentir ces reptiles effrayants
Et le matin, ne plus se sentir sauvageon.
Sans doute l’eau s’arrête où commence la mer
En emportant toutes nos certitudes.
Nuit dans le labyrinthe de nos chimères,
Sans apercevoir un grain de gratitude.
La passion, éternel bonheur.
Pourquoi ne pas éloigner ce qui fait souffrir.
Fantômes, larmes, lettres et batifoleurs
Le souvenir devenant éternel sourire.
Marie-Madeleine Bouy

 P01

LE VAGUE À LARMES


Une vague alarme au fond de l’âme
Une lame de fond arrache tes larmes
Coule la vague sur ton visage
Lamine tes joues de ses ravages
Sans divulguer l’âge du temps
Divague pour différer l’instant
Laisse les armes sur le rivage
Sous tes paupières le vague à l’âme
Julia Torlet

P02

NOYADE


L’eau claire de la source déliquescente
A cessé de prodiguer sa fraîcheur odorante.
Elle a fondu dans les marais filandreux
Et s’est accrochée aux joncs des étangs calamiteux.
La pinède ensablée descend jusqu’à la mer dévoreuse
Et se trouve engloutie par les algues visqueuses.
Un chant lancinant vibre dans la vapeur de l’aube
Enveloppant les roseaux décharnés d’une longue robe.
Les herbes rabougries en bijoux de pacotille
Hantent les marais et les habillent d’une mantille
Gluante couleur de réglisse.
Elles enferment l’eau ténébreuse et lisse.
Et le rêve glisse dans ces marécages,
Respire l’air du temps englué,
Arpente les rives sans âge
Et se dilue absolument dans la fumée.
Christiane Lanfranchi-Veyret

P03

LE DIT DU TEMPS


Jadis temps des mélodies en Arcadie, les dames s’y pavanent
et versent une larme sur la rose à peine éclose
Autrefois se coiffe d’ardoises de guingois et s’empiffre de
noix. C’est un villageois
Hier insoucieux des ornières, crinière roturière flottant
au vent tu enjambas Paris comme d’autres une taupinière
Jamais tu es mauvais, je le sais, je te connais, je te hais...
Disparais !
Bientôt bravo, cocorico ,tu arrives prestissimo
Demain tu appartiens au magicien qui me tient la main
Mais aujourd’hui, mon bel aujourd’hui, qu’y a-t-il au bout
du petit chemin ?
Christiane Duveault

P04

LE JARDIN


J’ai descendu dans mon jardin, non pour y cueillir du romarin,
mais pour le voir et prendre de ses nouvelles. Aura-t-il
souffert après le passage de l’orage ? Une nuit fraîche lui
aurait été agréable.
Le jardin a parcouru les siècles et les continents : jardin
d’Eden, jardin des Hespérides, jardins de Babylone. Dans
nos campagnes, le jardin était une nécessité : nourrir la
famille.
Un jardin se regarde, se contemple. Cette nuit fraîche a tout
recouvert d’une rosée brillante. Tout respire : arbustes, légumes
et fleurs. Patientes, les salades tendent leurs feuilles
douces et vertes avant d’être coupées et dégustées. Le
rouge des tomates se fonce. Les courgettes ne peuvent plus
se cacher. Le jardinier continue tranquillement son tour.
Toutes les fleurs éclatent en cette fin d’été. Petites fleurs
au milieu des herbes folles, grandes digitales mauves qui
sèment les graines à tout vent, hortensias qui penchent
leurs têtes trop lourdes.
Tiens ! Toujours pas de fraises cette année ! Les gourmands
n’auront pas de confiture. Les groseilles sont sorties, prêtes
à être cueillies : bonne gelée en perspective.
Fascination du jardin qui apporte le calme, appelle à la
méditation : partage de bonheur, de déception, du temps
qui passe, mais qui reviendra…
Jardinier, tu restes humble devant ces merveilles, et tu
penses au conseil d’un sage : « on ne commande à la nature
qu’en lui obéissant. »
Madeleine Bouy


TIRE TA LANGUE


Parfait… Parfaite !
Imparfait… Imparfaite !
Un quoi ?
Qu’est-ce que
Ça veut dire ?
Rien, tu comprendras
Plus tard,
Dans le futur !
Plus que parfait
Alors là tu es fait !
Qu’est-ce que c’est ?
Parfait, c’est bien !
Comment peut-on dire
Plus que parfait
Quand on est imparfait
Et quand on naît imparfait ?
Je préfère le futur…
Tu trouves ! Figure-toi
Qu’il peut être antérieur !
Ah ! Non, quelle langue
Qui marche à côté de
Ses pieds !
Le passé peut ne pas
Avoir eu lieu et
Le futur déjà accompli !
Alors restons-en là,
Ici
Au présent. Au maintenant
Ah ! Oui, une main tenant,
Une main tenant, quoi ?
Une main tenant une autre main
Tenant une autre main…
Claude Lévy

P05

 

CHAQUE CHOSE EN SON TEMPS


Autant le temps me tance à grands coups d’échéances,
autant l’instant m’échappe, répétant sa sentence.
Le temps dévore l’instant.
Cela commence dès l’enfance. Tantôt plein de tensions,
tantôt plein d’insouciance, on parcourt la latence entre
ses intentions et ses incompétences. Ainsi apprend-t-on.
En deux temps trois mouvements, on peut prendre du bon
temps et sans perdre de temps affirmer son tempérament.
L’air du temps pour sextant, on s’entend à tenter chaque
teinte de la tenture que tresse notre destin. Le temps
nous tend une perche - et nous enfoncera tout au fond
de l’étang dès qu’on l’aura saisie, mais c’est en se noyant
qu’on apprend à nager.
Le temps s’entend à tempérer l’ardeur des jeunes prétentieux.
Attention ! Temps de chien - ou chien de temps.
Arrive l’âge adulte.
Être grand, c’est entendu, c’est faire la pluie et le beau
temps. Évitant les dangers, mentant de temps en temps,
inventant quelques fois quelques stances salvatrices, on
navigue à tâtons dans l’âge tentaculaire où toute tentation
peut fatalement trahir.
Le temps s’étiole, entre les « Je t’en supplie » et les « Vat-
en », nos vingt ans derrière nous, notre avenir traînant,
déjà las et terni avant d’être entamé.
Et bientôt la vieillesse nous tend son guet-apens : le temps
devient tangible, s’incrustant sous nos peaux et sculptant
nos visages à l’aune de nos âges.
C’est là qu’ils se résignent, ceux qui commencent à trouver
le temps long. Ceux qui, se retirant loin de tous les
tourments, estiment avoir fini leur course contre le temps.
Moi, je n’abandonne pas. J’intente un procès contre le
temps et j’attente à son existence plutôt qu’à sa durée.
Réclusion à perpétuité contre le sablier.
Il y a beau temps que je ne prétends plus au printemps
éclatant mais me contente d’étendre chaque instant dans
l’étendue des sens.
J’ai encore tant et tant à voir et à comprendre.
Au temps pour moi si j’entends à tort tenter ma chance
encore. Et tant pis pour les autres s’ils n’y entendent rien.
Le temps passera pourtant car son cours est constant. C’est
une irrémédiable tendance.
Le temps s’étend. Juste pour tuer le temps.
Et moi ? J’attends.
Julia Torlet

P06

P07

 

ATTENTE


Peu importe qu’ils glougloutent, froufroutent,
ronronnent, clapotent ou pétillent, muselés dans le silence
des pages, ils y subissent les pires proximités dans un vieil
herbier paginé, folioté, numéroté, qui ne connaît que la
stricte discipline de l’ordre alphabétique (cela s’appelle
un dictionnaire).
Ils hibernent là, souffles gelés dans l’attente du bon plaisir
de qui les défroissera.
Christiane Duveault

page noire


nuit blanche


INSOMNIE


L’ennui lancinant
Alourdit l’heure lente.
L’onde longe
Le littoral lumineux.
Dans la nuit
Le temps défile
Et luit
Au cadran de l’horloge.
Je l’entends, c’est elle,
Qui arrive à pas feutrés.
Elle me dit : « Bonsoir, tu ne dors pas ? »
Comment le pourrais-je ?
Je te reconnais.
Tu rôdes encore cette nuit,
Insomnie !
Christiane Lanfranchi-Veyret

P08

 

L’ALLÉE DES REINES


L’allée des reines autour du bassin du Luxembourg,
Elles ont peut-être cent ans ces belles dames.
Si elles s’imposent dans la lumière solaire ce mardi,
On oublie qu’elles ont souffert, qu’elles ont aimé.
Elles furent aussi incendiaires, meurtrières,
Et tous les petits cailloux de silex dans le sable de l’allée
Sont des vestiges du temps passé.
Solange Lehmann
J’attendrai le temps de prendre du bon temps
Pour sourire encore longtemps
Presque cent ans…


LA VIE D’UN COLLIER


1920. Jeanne est une magnifique jeune fille, très moderne,
coiffure au carré, robe souple s’arrêtant juste au-dessous
du genou, chaussures à talons bobines. Elle vient d’être
nommée deuxième vendeuse d’une maison de haute-couture.
Elle court boulevard Saint-Michel dans sa librairie
préférée (qui deviendra plus tard Gibert Jeune) acheter un
livre sur les costumes de l’époque Empire. Les libraires
la connaissent bien mais ce jour-là, Monsieur Henri fut
appelé en tant qu’expert en la matière.
Monsieur Henri était un élégant et très aimable dandy,
de surcroît érudit et passionné. Ce fut le coup de foudre.
Après quelques échanges sur les livres de référence, ils décidèrent
de se revoir à l’extérieur. Jeanne savait qu’il était
d’origine russe et vivait dans un quartier chic. Elle pensait
que c’était un réfugié parmi tant d’autres, ne demandant
qu’à s’intégrer sans jamais se plaindre.
Le jour de leurs fiançailles organisées par les parents d’Henri,
elle comprit qu’il était issu d’une famille princière. Elle,
et sa famille se sentirent perdus mais grâce à la gentillesse
de Joséphine et Victor ainsi que de tous les autres invités
russes, ils se sentirent à leur aise. Jeanne était subjuguée
par le splendide collier de perles orné d’une montre-gousset
éclairant la robe noire en dentelle que portait Joséphine.
Celle-ci lui expliqua que c’était une tradition : il lui avait
été offert par sa belle-mère à la naissance de son fils Henri.
1930. Jeanne met au monde une petite fille prénommée
Jeanine à la demande de Henri qui adore sa femme. Joséphine
lui offre le fameux collier. Jeanne lui demande
l’autorisation de retirer la montre-gousset qu’elle donnera
à Henri, pour pouvoir le porter façon Chanel : faire un
tour de cou, jouer avec d’une main pendant que l’autre
tiendrai un fume-cigarette.
1960. Jeanine à son tour met au monde une petite fille
qu’elle appela Josée, en souvenir de sa grand-mère tant
aimée. Le collier passa des mains de Jeanne à celles de
Josée. Elle voulut, elle aussi, transformer le collier en trois
rangs, comme celui de Jackie Kennedy. Après son décès
prématuré, Jeanine le récupéra et le rangea dans un coffrefort
pour le remettre un jour un jour à sa petite-fille Vicky.
2000. À l’occasion d’un baptême, Vicky qui vivait à Los
Angeles rencontra la cousine de sa Grand-Ma adorée, et
qui l’avait élevée. Les deux cousines échangèrent leurs
souvenirs, et évoquèrent en particulier le fameux collier.
Tout à coup, Vicky lui dit : vous avez dû remarquer que
mes paupières tombent. Je voudrais bien les faire opérer
par un grand spécialiste français mais cela coûte très cher.
Pensez-vous que ce serait mal et que je manquerais à la
fidélité familiale si je vendais quelques bijoux. La cousine
lui répondit spontanément que Jeanine serait tout
à fait d’accord pour que le collier fasse le bonheur de sa
petite-fille.
C’est bien la destinée d’un héritage : améliorer la condition
de vie de ceux qui le reçoivent. Après des embrassades
chaleureuses, la cousine rêva que cette ultime transformation
lui permettrait de retourner dans son pays d’origine,
la Russie.
Geneviève Pétrès


LIGNÉE


Je suis de la race des très humbles
De ceux qui articulaient péniblement les mots
De ceux qui savaient à peine signer leur nom
De ceux qui avaient à peine un nom
De ceux qui n’ouvraient la bouche que pour engloutir un pain
rudement gagné
De ceux qui, sans doute, riaient gras et buvaient sec
De ceux que je n’ai jamais rencontrés
De ceux dont on m’a caché l’existence même.
Je suis la fille de celle qui s’est enfuie
De celle qui aima, sans mesure, un homme aux yeux bleus
De celle qui souffrit tant de ne savoir ni lire ni écrire, puis
de l’enfant née trop tôt
De celle qui aima passionnément l’autre enfant tard venue
De celle qui souffrit d’humiliation grande.
Je suis la fille de l’homme aux yeux bleus
De celui qui fut un jeune homme hardi et naïf
De celui qui partit en guerre vêtu de rouge et de bleu
De celui qui traversa les mers et découvrit, étonné, des rivages
insoupçonnés
De celui qui sut enfin lire et écrire,
De celui qui ouvrit la cage de l’oiseau épris de liberté.
Je suis celle qui clôt le devenir de cette lignée
Celle qui abrite tous les hiers en son sein
Celle qui s’offense quand on les tourne en dérision
Je suis celle qui voudrait crier à bouche close.
Christiane Duveault

P09

P10

 

DE RIVE EN RIVE


Je renifle le clapotis des eaux dormantes
J’entends le torrent et son remue ménage.
Le lac et ses eaux juteuses me hantent.
Le goutte à goutte des jours luit et j’enrage.
Pourtant, il donne du goût à l’éphémère
Et fait la leçon à l’éternité mensongère.
Christiane Lanfranchi-Veyret

 P11

L’AMI


Et puis tu m’as parlé
De la beauté du monde.
Les arbres en automne,
Les fleurs de jasmin et
Le parfum du chèvrefeuille
Dans les rues de Tunis
La nuit.
Les lèvres des femmes,
La voix de Kathleen Ferrier.
Tout s’est passé si vite,
Déjà l’éternité.
Claude Lévy


APRÈS-MIDI D’AUTOMNE


Il y a un temps pour rire
Septembre 2016
L’automne aux couleurs dorées comme dans un tableau
Incite à la promenade : même les enfants sont là.
Les chemins forestiers résonnent de leurs cris joyeux.
Les chants fusent.
Les discussions s’emballent.
Parfois le silence se fait :
Des pensées moroses,
Des projets aussi.
L’amitié est perceptible.
Il y a un temps pour pleurer
Septembre 1916
Ils marchent en silence.
Ils sont chargés, fusil, besace, lourds vêtements.
Savent-ils même sur quels chemins ils sont ?
Ce paysage automnal ne ressemble pas à leur univers.
Ils échangent quelques mots, parfois ils chantent.
Ils ignorent ce que sera le bout du voyage.
Combien d’heures encore ?
On pleure sur leur passage, on leur donne à manger.
Où dormiront-ils ce soir ?
Ils espèrent arriver bientôt à leur cantonnement.
Manger. Dormir sur la paille et tout oublier.
Quelques bribes d’un poème de Rimbaud revient à la
mémoire :
C’est un trou de verdure où chante une rivière
Un soldat jeune, les pieds dans les glaïeuls, dort.
Nature, berce-le chaudement, il a froid.
Madeleine Bouy

P12

 

RÊVERIES D'UNE PROMENEUSE SOLITAIRE


Dehors, humer l'air .... qui sait encore respirer ?
Ignorer la météo morose. Marcher la tête dans mes pensées,
les regarder courir en liberté tandis que le corps s'occupe
ailleurs. Se laisser pénétrer par la forêt pour gagner la
compagnie des arbres.
10 février 2018, 14h. C'est blanc partout. Le coeur se
vide. La neige étouffe le bruit des pas. La blancheur éteint
les préoccupations passagères.
16 février 2018, 13h45.
C'est gris. Ici ou là une tache blanche. Le gris fait glisser.
L'eau se met dans tous ses états pour piéger la promeneuse
solitaire. Le chemin labouré par la fonte des glaces exhibe
ses blessures. La marcheuse peste, se rebelle. La nature dit :
« Tu es fragile et vulnérable ». L'autre répond en souriant
au soleil qui perce entre les branches des châtaigniers :
« Tu ne m'apprends rien ».
Mais elle ralentit. Mais elle sort ses mains de ses poches et
analyse le terrain. Mais elle sait qu'autour d'elle, personne.
Personne n'a eu l'idée saugrenue d’emprunter ces chemins
là, ce jour là. Personne ni devant, ni derrière. Seule.
20 février 2018, 15h. Arriver à un croisement des chemins.
Plaindre les arbres effondrés, les branches cassées,
les troncs brisés. Suivre la route, ne regarder que ses pieds
pour ne pas tomber. Ne rien regarder autour de soi pour
ne pas tomber. Regarde tes pieds !
« Tu es fragile et vulnérable » dit la nature. La marcheuse
observe les châtaigniers malades qui ne donnent plus de
châtaignes depuis deux automnes. Elle bouche ses oreilles
pour ne plus entendre les avions toujours plus nombreux.
Elle caresse tristement le tronc des arbres qui bientôt deviendront
creux et tomberont terrassés par le gazole tombé
du ciel, les pulvérisations des arboriculteurs. »
Dehors.
Humer l'air.
Ignorer la météo morose.
Marcher.
Laisser les pensées
courir en liberté.
Entrer dans la forêt.
Retrouver les arbres.
Pour combien de temps ? La marcheuse ne sait pas,
elle ne connaît pas le temps d’après, elle veut profiter
du temps qui reste.
Geneviève Bonnet-Cadith

P13

P14

LE SABLIER


Continuellement tous les grains s’amoncellent,
Rangeant en pyramide le temps qui ruisselle
Et s’écoule impassible le long des filins
Que les Parques ensemble tissent, tranchent sans fin.
Les trois soeurs réunies gouvernent ce royaume,
Cette dune croissante qui tient dans la paume,
Font l’aumône parfois d’un précieux instant,
Précipitent sinon la folie des vivants.
Mais elles sont aveugles et sourdes et ivres.
Leur ventre est vide et c’est nous qui sommes pour elles
Ces grains de sable qui un à un s’amoncellent.
Ni justice ni dieu ni destin. Que du givre.
Dans le dôme de verre tout se glace et croule.
Le filin est tranché. Le dernier grain s’écoule.
Julia Torlet

P15

 

VITE, VITE…


Six heures à ma montre, Gare du Nord… Dehors, il fait
gris et humide. Dedans on ne sait pas trop, c’est sans importance,
ce qui compte, c’est que l’horloge de la gare,
elle, marque 17 heures 55. Mon train doit démarrer à
18 heures pile, j’ai donc cinq minutes pour tirer de ma
poche le petit carton prépayé qui me donne droit d’accès
au train qui me mènera à Enghien, pour l’introduire
dans la fente appropriée située sur le devant du montant
droit du sas qui permet de passer de la zone libre d’accès
à la zone d’embarquement, pour m’en ressaisir quand il
surgit d’une seconde fente située, elle, sur le dessus du dit
montant puis pour impulser la barre métallique dont le
ticket introduit a mystérieusement libéré le mécanisme,
pour courir enfin jusqu’au train déjà bondé qui s’apprête
à démarrer, pour bondir dans la dernière voiture… Hélas,
cinq minutes, c’était trop peu ; avec une lenteur insolente
les deux battants de la porte d’accès glissent, se rejoignent,
obstruant tout passage. Derrière la vitre, des visages rigolards
lorgnent ma déconfiture, un gros mot, tout rond,
jaillit de ma bouche. Je retourne sur mes pas, l’oeil farouche,
le souffle bruyant. Je consulte le tableau des départs, il me
faudra attendre seize minutes un autre train. Celui que
j’ai raté était un omnibus celui-ci sera direct… J’apprécie
cette opportunité : je ne perdrai que six minutes de mon
précieux temps. Je pousse un soupir libérateur.
Christiane Duveault

P16

 

LE TEMPS MEURT VITE, TANT PIS POUR LUI !


Au bout de l’île
La vague met le cap
Sur l’éternité
Au bout de quelques secondes,
Tu es déjà vieille
Petite minute,
Et tu rends l’âme
Christiane Lanfranchi-Veyret

P17

 

LES JOURS


Il fait nuit dans sa maison.
Elle voit une petite fille grimper
De branche en branche
Alerte et légère
Comme une mésange.
À la lumière du jour
Elle a bientôt cent ans,
À la lumière de ses rêves
Elle ne connaît que l’enfant.
Le jour est si trompeur.
Claude Lévy

P18

 

TROIS POÈMES BREFS


Le ciel se craquelle.
Dedans le ciel, l’eau de la terre.
Il pleut.


L’eau déclare sa flamme à une terre brûlée.
Elle arrive après la bataille.
Fin d’incendie. Coulent les larmes.


Le vent s’émiette contre la falaise.
La roche coule et éclabousse l’air.
Le temps passe.
Julia Torlet


POÈME EN QUATRE ÉLÉMENTS


J'ai attendu dans une nuit noyée de braises,
Inconsciente. Flamme terrestre et illusoire,
Tempête ravageuse explosant les notes d’un solfège
Aux couleurs incendiaires d'un rouge dérisoire.
Dispersés les asticots frêles dans une pluie de neige
Bafouée et humiliée comme un lac bleu d'oranges.
Revenue en une terre d'asile, triste comme un chorège,
J'ai coulé à pic, prisonnière d'une bulle rouge.
Je naviguais, pilote méphitique dans la péninsule de
Léonard,
Désignant la fille de l'air, cétacée licencieux, comme
une bouée
Soulevant les mollusques flasques des mares,
Dans un silence minéral chassé par des cailloux embués.
J'ai heurté la chienne des heures sans ligne d'horizon,
Là où pourrissent les barrages fragiles des montagnes,
Terrassant les eaux vives du présent instable,
Misérables secondes qui soupirent comme au bagne.
J'ai souhaité incendier ce mal de terre,
Flaque saumâtre attirée par la gravité océane,
Sans songer au feu céleste qui noircit les chimères
Et terrasse d'une main d'airain les sirènes profanes.
Je mourrai, plaine arrosée d'une chaleur sèche,
Perdant pied, saoule et ronde comme un tison,
Accrochée aux racines d'un souffle qui prêche
Aux infortunés noyés, des brûlures douces comme la
prison.
Geneviève Cadith

P19

P20

 

« SEIN UND ZEIT » !!!


Le temps qui passe
Salut, la vie !
Quand cesseras-tu
De lâcher le venin
Du temps qui passe ?
La promesse fait des ravages
Elle remet toujours à demain
Le désir d’aujourd’hui.
Dans la grotte du silence,
L’instant se perd.
Il met tout à l’envers,
L’avant, l’après se bousculent
L’éternité bascule.
À tes heures glorieuses,
Tu envoûtes et resplendis,
Toi, la vie, toi la gueuse,
Tu délivres ton poison aigri,
Tu fais des ravages
Et ne nous laisses rien en héritage.
Christiane Lanfranchi-Veyret


LE BAISER


La vie nous quitte
Sur un baiser
Comme elle a commencé
Par les mots d’un poète
Oublié.
Claude Lévy

P21

P22